Cet article est le premier d’une série se penchant sur les façons dont des entreprises de Real répondent à la pandémie de COVID-19.
« Ma famille et moi avions pris des vacances à l’étranger pendant la semaine de relâche. J’étais de retour le dimanche et le lundi matin, je discutais avec l’ensemble des membres du conseil d’administration afin de leur expliquer que nous établissions des modèles financiers afin de nous préparer au pire. »
Voilà comment Eamonn O’Rourke, cofondateur et PDG de RenoRun, une plateforme montréalaise de commande de matériaux de construction en ligne, a réagi lorsqu’il a compris que son entreprise, qui venait de clore son plus gros trimestre jamais vu, allait passer au point mort en raison du virus. « Cette année, le premier trimestre a été incroyablement intense, observe-t-il. Nous avions dépassé notre objectif de 20 %, et il était 300 % supérieur à celui de l’an dernier. »
Toutefois, le 9 mars, lorsque son équipe de direction s’est rencontrée pour discuter du plan à adopter, elle était consciente que le virus serait « toute une diversion ». La question était de savoir quelle serait la sévérité de la situation… et combien de temps elle allait durer.
Innover et réinventer
Tous les leaders ont dû avoir ces réflexions au cours des dernières semaines, mais pour de jeunes pousses financées par du capital de risque dont l’existence même dépend d’une croissance rapide, une pause interminable peut signifier de deux choses l’une : innover ou disparaître.
Pour Locketgo, une entreprise en démarrage offrant des casiers pouvant être déverrouillés à l’aide d’un téléphone intelligent destinés au secteur de l’événementiel, la pandémie a ouvert la voie vers une nouvelle direction qui avait été contemplée par le passé, avant d’être écartée. La cofondatrice et PDG de l’entreprise, Gabrielle La Rue, avait songé à installer des casiers dans des magasins et d’autres lieux publics pour la cueillette de commandes, mais avait mis cette idée en veilleuse pour se concentrer sur les événements spéciaux. Lorsque le Centre Bell de Montréal a fermé ses portes, elle a dû se rendre à l’évidence : tous les événements à son agenda seraient soit annulés, soit présentés en ligne. Gabrielle a immédiatement compris que ce qui n’était auparavant qu’une des nombreuses voies qu’aurait pu suivre son entreprise était maintenant indiscutablement le bon choix. Sans garantie que le marché de l’événementiel revivrait en 2020, la seule possibilité était de se réinventer.
« Certains [de nos partenaires] avaient déjà vu le concept de casiers urbains pour la livraison, mais d’autres n’étaient pas encore rendus là, note Gabrielle. Maintenant [en raison de la COVID], ils voient tous qu’un réseau de casiers à l’échelle d’une ville peut être utilisé pour distribuer des biens sans contact… ils comprennent tous [son énorme potentiel]. »
Comme un.e chef qui fouille dans le réfrigérateur et le garde-manger pour créer un plat à partir de ce qu’il.elle a sous la main, Locketgo a utilisé les casiers et la technologie que l’entreprise possédait déjà pour en faire quelque chose de nouveau. Cette solution a non seulement le potentiel de l’aider à traverser cette crise, mais pourra aussi répondre aux changements de comportement post-pandémie.
Se tailler une place dans le marché post-pandémique
Selon ces deux entrepreneur.e.s, le facteur clé pour survivre à la crise est de songer aux changements de comportement qui deviendront vraisemblablement la norme après la COVID.
« [Chez RenoRun], notre préoccupation est notre place dans le marché post-pandémique, explique Eamonn. Tout le monde se penche attentivement sur sa boule de cristal et, de ce que nous sommes à même de constater chez nos utilisateur.trice.s et après avoir contacté certaines personnes, nous pensons que les comportements vont changer beaucoup plus rapidement qu’on pourrait l’avoir prédit. »
L’avenir semble déjà prometteur pour RenoRun alors que le secteur de la construction reprend ses activités, les mesures de distanciation physique pouvant être respectées sur les chantiers.
« La chaîne logistique est encore largement au point mort, les gens ne peuvent donc pas se rendre dans les commerces où ils ont leurs habitudes. Nous avons sondé 600 entrepreneur.e.s en construction, dont la moitié faisait déjà appel à nous et l’autre non, et 50 % ont indiqué désirer se fier à un service comme le nôtre pour les aider à traverser les prochains mois. »
« Pour ce qui est des changements du côté des produits, poursuit-il, les bâtisseur.euse.s et les entrepreneur.e.s changeront inévitablement la façon dont il.elle.s commandent des matériaux. Nous mettons déjà au point des outils qui simplifieront le processus pour les commandes de plus en plus volumineuses sur la plateforme. En fait, il semble que tout va tout simplement s’accélérer pour nous. »
Pour Locketgo, les possibilités d’avenir sont encore plus vastes. Bien qu’il soit clair que leur solution de casier permettra aux détaillant.e.s de réaliser des économies importantes en centralisant les points de cueillette et en éliminant les échecs de livraison, les emplacements de leurs projets pilotes et les partenariats avec les commerçant.e.s sont encore à déterminer. Notons par contre que l’entreprise a récemment confirmé un premier projet pilote en collaboration avec Arrivage pour la livraison de produits locaux non périssables de haute qualité à des casiers un peu partout en ville.
« Nous sommes à la recherche de commerces qui vendent en ligne. De petites et moyennes entreprises locales qui sont prêtes à prendre des biens et à les mettre dans des casiers pour économiser sur les frais d’expédition en tant que nouvelle option [pour la clientèle]… Nous essayons de parler avec Ma Zone Québec et Signé Local, peut-être même Shopify; toutes ces plateformes qui regroupent un vaste éventail de commerces et qui pourraient vouloir collaborer avec nous sur ce projet. Nous voulons discuter avec elles. »
À l’instar d’Eamonn, Gabrielle ne s’arrête pas uniquement à ce qui permettra à son entreprise de sauver les meubles pendant la crise, mais songe aussi à la façon dont elle continuera à croître et à prospérer lorsque s’installera une nouvelle normalité.
« Nous avons un bel avenir devant nous. Je crois qu’il est même encore plus prometteur qu’avant, s’enthousiasme-t-elle. Nos casiers peuvent servir à tant de choses, et je crois que si nous pouvons être la solution aux échecs de livraison, ce sera quelque chose de gros. Cependant, ce sont les coûts élevés qui représentent la plus grande source d’irritation pour les transporteurs et les commerces. Locketgo remédie à ce problème, ce qui en fera un service nécessaire avec la montée du commerce électronique. »
Atténuer les effets de la crise
Même si la situation sourit actuellement à RenoRun et Locketgo, les premières semaines de la pandémie n’ont été une partie de plaisir pour ni l’une ni l’autre de ces entreprises. Elles ont toutes deux été forcées de réduire leur main-d’œuvre, car comme bien d’autres startups, elles ont dû diminuer considérablement leur taux de combustion. Cela s’est traduit par des mises à pied et des licenciements, ainsi que des baisses de salaire pour les cadres.
Réduire la taille des équipes et les salaires
Pour l’équipe de 115 personnes d’Eamonn chez RenoRun, le processus de diminution du taux de combustion par réduction de la taille de l’équipe a consisté en une réévaluation des priorités, mais cela n’a pas rendu les choses plus faciles.
« Après l’annonce du programme de PCU, nous avons mis à pied tout le personnel de première ligne, de cette façon, il était encore techniquement à notre emploi, mais comme il n’avait pas d’heures, le gouvernement lui versait la prestation, a-t-il expliqué. Nous avons ensuite licencié 10 % de nos employé.e.s de bureau. Poste par poste, nous avons impitoyablement évalué les priorités. »
« En ce moment, notre objectif est de revenir à nos résultats pré-COVID, j’ai donc dû me demander de quelles compétences et quels postes nous aurions vraiment besoin pour atteindre nos cibles de revenu le plus rapidement possible. Malheureusement, si vous ne vous retrouviez pas sur cette liste, vous étiez licencié.e », poursuit l’entrepreneur.
Quoique cette réduction de l’effectif n’ait pas été faite de gaieté de cœur, l’équipe a accueilli la nouvelle avec une grâce et une attitude positive étonnantes.
« C’était surprenant. Les gens nous remerciaient durant le processus de licenciement. On ne s’attendait vraiment pas à cela. »
Eamonn attribue cette attitude à la transparence dont son équipe de direction et lui ont fait preuve en ce qui concerne les facteurs qui ont orienté leurs décisions pour traverser la crise.
« Nos cadres ont accepté une réduction de salaire, ce que nous avons annoncé rapidement au reste de l’entreprise. Après les licenciements, nous nous attendions à constater une baisse de moral, mais nous avons organisé une réunion de tout le personnel le jour même, dans le cadre de laquelle nous avons fait nos annonces. Nous avons reçu une vague de soutien de bon nombre des employé.e.s restant.e.s, qui nous ont exprimé à quel point notre transparence quant à la situation — la réduction de salaire des cadres, la façon dont nous avons décidé des postes qui seraient coupés — était appréciée. Je crois que c’est ce qui a permis de maintenir le moral à un certain niveau. »
« Nous sommes simplement très ouvert.e.s et transparent.e.s, nous discutons des enjeux rapidement et nous agissons promptement et de manière décisive. Je crois que cela contribue au moral de l’équipe, ajoute-t-il. Nous n’allons pas procéder à d’autres licenciements. Nous avons prévu des revenus quasi nuls pendant six mois. Nous avons établi un plan en conséquence, et même si nos prédictions s’avèrent, nous n’aurons à remercier personne d’autre. Pour moi, c’est un accomplissement en soi. Dans le contexte actuel, tout le monde nage quelque peu dans l’incertitude, alors c’était vraiment important pour nous de pouvoir dire : “C’est la seule et unique fois où nous allons procéder ainsi et personne n’a à s’inquiéter”. »
Pour Gabrielle et son équipe de 15 personnes, les circonstances étaient très différentes, mais la réaction a été tout aussi positive.
« J’ai tout d’abord dit à tout le monde d’arrêter de se présenter au bureau et que nous trouverions une solution pour les salaires, explique Gabrielle. Mais après une semaine, j’ai dû annoncer à mon équipe que je ne pouvais plus la payer. Je me sentais vraiment mal : j’ai dit que je comprendrais ceux et celles qui choisiraient de quitter l’entreprise, mais que je voulais qu’il.elle.s restent, et donc que dès que nous recevrions de l’aide du gouvernement, je les réembaucherais — et j’offrirais des options sur actions aux personnes qui resteraient. »
Toute l’équipe a choisi de rester et continue à travailler tout en touchant les prestations gouvernementales.
« Je crois que nous avons réussi à bâtir une bonne culture et une bonne vision, et c’est pour cette raison qu’elle reste, poursuit Gabrielle. J’ai expliqué à tout le monde qu’il fallait m’avertir s’il y avait un problème, si quiconque avait besoin de plus d’argent… Nous essayons de nous débrouiller au jour le jour. »
« Avant de réorienter nos activités, je me suis demandé honnêtement si je voulais continuer dans ce projet, parce que si j’allais convaincre mon équipe de me suivre, je devais vraiment y croire. J’ai pris congé pendant un certain temps, mais je crois réellement à mon entreprise, alors maintenant, nous nous donnons tous à fond. »
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