Donna Litt, cofondatrice et chef des opérations, et Joseph Fung, cofondateur et PDG d’Uvaro nous parlent de la rédaction du narratif d’Uvaro.
En termes simples, un narratif est un ensemble cohérent d’idées qui permettront à une entreprise de concrétiser sa vision. Mais que faut-il pour qu’un narratif enflamme nos sentiments à la première écoute et nous donne envie de nous joindre à la cause? Cela peut souvent sembler un exercice simple, mais en fait, la plupart du temps, ces récits sont le fruit du travail de plusieurs personnes qui ont consacré d’innombrables heures à la recherche, creusant dans la face cachée de leur entreprise, écrivant et révisant sans répit les principaux points, répétant la présentation et apportant les correctifs finaux pour accoucher des formulations les mieux ficelées afin de véhiculer en toute authenticité leur identité, l’importance de leur entreprise et l’objectif qu’elles souhaitent atteindre.
Dans cet article de suivi de notre série d’entrevues Guide de Real Ventures pour une startup florissante, nous abordons plus en profondeur la Tactique 7 : Rédiger un narratif avec Donna Litt et Joseph Fung, deux des trois cofondateur.trice.s d’Uvaro, une plateforme de réussite dédiée à aider les professionnel.le.s de tous les horizons à faire leurs premiers pas dans le domaine de la vente des technologies et à passer maître dans cet art. Depuis son lancement, en 2020, plus de 750 élèves ont profité des services d’Uvaro pour ensuite entreprendre des carrières prometteuses au sein d’entreprises comme Clearco, Vidyard, Loopio et IntelliHR, pour n’en nommer que quelques-unes.
Les cofondateur.trice.s de l’entreprise ont réussi à composer un narratif à la fois inspirant, convaincant et, plus important encore, fidèle à leur vision et à l’expérience de leur clientèle. Au cours de notre entretien, nous avons discuté de ce qu’impliquait le processus créatif, de la façon dont l’équipe s’est attaquée à la rédaction et de comment le récit ainsi élaboré a aidé l’entreprise dans sa campagne de financement.
Nous nous rencontrons aujourd’hui pour parler d’élaboration d’un narratif, j’ai donc pensé qu’il serait opportun de commencer notre conversation avec l’histoire d’Uvaro.
[Donna]
Notre histoire s’ouvre sur une magnifique toile de fond : nous sommes une équipe d’entrepreneur.e.s du secteur des technologies qui aident les professionnel.le.s à s’épanouir dans leur carrière depuis plus de dix ans. En servant ce marché, nous avons réalisé que notre clientèle n’avait pas besoin d’un logiciel de plus. Ce dont elle avait vraiment besoin, c’était d’un.e champion.ne prêt.e à se dévouer à l’aider à réussir sur le plan professionnel tout au long de sa vie. Lorsque nous avons lancé Uvaro en 2020, les vives réactions des participant.e.s à nos programmes de formation nous ont rapidement permis de comprendre que nous avions quelque chose de vraiment spécial entre les mains.
Comme nous le savons tous, 2020 et 2021 ont été des années difficiles pour plusieurs d’entre nous, pour bien des raisons. Notre capacité à aider les professionnel.le.s, dont plusieurs sont issu.e.s de groupes minoritaires marginalisés travaillant dans des secteurs mal rémunérés et dont les emplois ont été particulièrement touchés par la pandémie, a constitué une source de motivation exceptionnelle et a renforcé notre conviction de mettre sur pied une organisation qui pourrait être un véritable moteur de changement. Nous avons compris que nous développons une entreprise afin d’aider les gens à gagner en assurance, à acquérir de nouvelles compétences et à se lancer dans de nouvelles carrières.
En novembre 2021, Uvaro a annoncé avoir amassé 12 M$ à la conclusion d’une levée de fonds de série A. (Félicitations!) Selon vous, dans quelle mesure votre histoire a-t-elle joué un rôle dans l’obtention de ce capital?
[Joseph]
Notre désir d’exercer une influence positive sur le monde transparaît dans notre récit d’entreprise. Bon nombre des éléments centraux de notre narratif tournent autour de l’aide aux groupes en difficulté et de la réduction des iniquités qui, dans bien des cas, découlent de défis systémiques. En précisant ces éléments centraux, nous avons pu trouver et contacter les bon.ne.s investisseur.e.s plus facilement. Des personnes dont les yeux brillaient d’enthousiasme en entendant notre présentation et qui voyaient immédiatement la valeur de ce que nous bâtissons. Notre narratif est ce qui nous a permis de trouver des partenaires exceptionnel.le.s qui nous aideront à poursuivre notre mission, mais aussi de veiller à ce que ces dernier.ère.s partagent notre vision à long terme du succès professionnel, qui transcende de loin les programmes de formation.
L’histoire d’Uvaro est véritablement inspirante. Combien de temps avez-vous consacré à la création de ce narratif qui communique si efficacement les objectifs et la vision de l’entreprise?
[Joseph]
En vérité, cela a pris des années. Notre narratif reflète les expériences professionnelles collectives de nos équipes.
Dans les faits, lorsque nous avons élaboré notre dossier de présentation pour notre série A, nous avons fait comme beaucoup d’autres équipes d’entrepreneurs : nous avons utilisé un modèle fourni par une société de capital-risque que nous respections et nous avons pondu une première version en quelques semaines. Avec ses 15 diapositives, elle était tout ce qu’il y a de plus typique… et c’était mauvais. Un vrai désastre! La présentation tombait complètement à plat et soulevait plus de questions que de réponses.
Après cette première tentative ratée, nous avons commencé à plancher sur une deuxième version au début du mois de juin en collaborant avec l’un de nos investisseur.euse.s, Sam Haffar, de Real Ventures. Trois semaines et environ une douzaine de versions plus tard, nous sentions que nous avions un narratif convaincant. Nous avons ensuite passé trois semaines de plus à travailler sur notre dossier de présentation aux investisseur.euse.s.
Combien de personnes ont participé à ce processus créatif?
[Joseph]
J’ai hérité de la part du lion du côté de la rédaction et de la conception. À l’interne, toute notre équipe de direction a participé, même si je dirais que Donna est celle qui m’a le plus aidé. Nous avons joué avec les mots et les messages, et exploré ce qui nous semblait le plus fidèle à notre histoire et notre équipe. Pour nous, l’implication de toute l’équipe dans le processus était très importante, et ce, à chaque nouvelle version. Nous avons aussi reçu le soutien externe de Sam, qui nous donnait ses commentaires à chaque étape et qui s’est révélé d’excellent conseil lorsque nous avions besoin d’un avis objectif.
Cela dit, une bonne partie du travail a été réalisé en solitaire. J’ai dû faire beaucoup de recherche, peaufiner les phrases, reformuler. J’ai passé un temps fou à m’exercer à présenter notre narratif. Je me suis isolé pendant la majeure partie du processus, et j’émergeais de mon antre de temps à autre pour prendre un peu d’air frais et confirmer auprès de l’équipe que j’allais dans la bonne direction.
Entretemps, notre équipe de direction a dû fournir un effort prodigieux. Je devais me fier à elle pour se charger de mes tâches et responsabilités habituelles. Les comptes devaient toujours être payés, les client.e.s avaient toujours besoin d’assistance… le monde n’avait pas arrêté de tourner.Leur soutien m’a permis de créer les conditions dont j’avais besoin pour changer mon état d’esprit et me concentrer sur l’élaboration d’un récit qui traduirait clairement notre enthousiasme et l’immense potentiel de notre entreprise.
Donc, bien que je sois largement responsable de la formulation en soi, c’est mon équipe qui a créé les conditions nécessaires à ce que la magie opère. Sans son soutien, je crois que cet exercice aurait été un échec.
Donna, pourrais-tu nous parler de la façon dont tu as vécu ce processus?
[Donna]
Comme Joseph l’a mentionné, nous devions faire des recherches individuelles pour mettre au point un récit de manière efficace. Des demandes précises émanaient ponctuellement de ce processus. Au fur et à mesure que nous mettions au point de nouvelles versions, des données ou des observations externes étaient requises pour appuyer les arguments de notre narratif. Ces éléments sont des preuves importantes lorsqu’il est question de rédiger une histoire crédible. C’est à ce chapitre que l’équipe de direction et moi avons été en mesure de contribuer, en plus de partager nos commentaires sur chaque nouvelle version et de nous charger des responsabilités qui incombaient d’ordinaire à Joseph.
Chez Real Ventures, nous croyons que les narratifs d’exception devraient répondre à trois questions : « Pourquoi devrais-je m’y intéresser? », « Pourquoi devrais-je avoir confiance? » et « Pourquoi devrais-je y participer? », et que les réponses à ces questions varieront en fonction de l’interlocuteur.rice, qu’il s’agisse d’un.e client.e, d’un.e employé.e, d’un.e fournisseur.euse ou d’un.e investisseur.euse. Vous et votre équipe vous êtes-vous posé ces questions lorsque vous avez rédigé l’histoire d’Uvaro? Sinon, quel exercice avez-vous réalisé pour mettre au point un narratif qui communiquerait efficacement ce que vous espérez accomplir avec l’entreprise?
[Joseph]
Surprise! Nous avons utilisé ces questions, mot pour mot, pour jeter les bases de notre narratif.
Ce qui est intéressant, c’est que nous avons commencé par nous les poser — Pourquoi devrais-je y participer? Pourquoi devrais-je avoir confiance? Pourquoi devrais-je y participer? — avant de nous en éloigner au fil des versions, et de finalement y revenir. Dans sa forme définitive, notre narratif, qui cible un public composé d’investisseur.euse.s, s’est avéré répondre à ces questions, exactement dans cet ordre.
Un autre exercice intéressant que nous avons accompli consistait à répondre à ces trois questions, mais du point de vue de nos principaux.ales client.e.s. Quoique notre narratif soit destiné aux investisseur.euse.s, nous trouvions important que la réponse à ces questions de bases parle aussi à notre clientèle en général. Je ne veux pas dire par là que les réponses devaient être les mêmes pour les deux publics, mais plutôt qu’aucune des réponses présentées aux investisseur.euse.s ne puisse sembler fausse ou dénuée de sens pour nos client.e.s. Enfin, nous savions que pour que notre présentation fasse son effet, nous devions y intégrer l’histoire de différent.e.s client.e.s, et que pour ce faire, nous devrions les raconter dans leurs mots. C’est exactement ce que nous avons fait.
[Donna]
Je suis parfaitement d’accord. La cohérence avec la clientèle est toujours la clé, peu importe votre public.
Le processus créatif est presque toujours marqué de nombreuses séries de commentaires et de révisions. Lors de la rédaction de l’histoire d’Uvaro, étiez-vous parfois en désaccord sur certains aspects du narratif de l’entreprise? Si oui, comment avez-vous réussi à mettre vos divergences de côté et à vous entendre sur le meilleur parti à prendre?
[Joseph]
Nous avions à coup sûr des divergences d’opinions en ce qui concerne le niveau de priorité des différents messages. Cela dit, nous sommes chanceux.ses : une grande confiance règne au sein de l’équipe fondatrice. Derek, notre troisième cofondateur, nous a laissés, Donna et moi, prendre en charge ce processus. Lorsque nous faisions le point avec lui, c’était dans l’optique où il avait une certaine distance avec le projet. Nous pouvions compter sur lui pour avoir une vision juste des choses.
Par exemple, nous avons dû trouver un équilibre entre la nécessité d’élever les individus au rang de client.e.s vedettes et le respect de leur parcours. Je me souviens de quelques histoires marquantes où les programmes de formation d’Uvaro avaient profondément transformé la vie de quelqu’un. Par contre, dans certains cas, Donna m’a fait remarquer que la façon dont je présentais ces récits ne rendait pas honneur à l’expérience de la personne et n’était pas nécessairement respectueuse de celle-ci. Par conséquent, nous devrions les présenter sous un autre angle, voire ne pas les utiliser. Tout compte fait, nos différents horizons et nos compétences propres nous ont aidés à trouver le juste équilibre. Donna, peux-tu penser à d’autres différences importantes dans notre approche de la rédaction du narratif?
[Donna]
Pas en ce qui concerne la création du récit. Au fond, je crois que c’est très simple.
Votre histoire doit pouvoir ramener à la clientèle.
Heureusement, Derek, Joseph et moi sommes tous trois très axés sur les client.e.s, alors c’est quelque chose qui nous vient facilement. En cas de différends, nous jouions la carte de la clientèle. Il devenait alors relativement aisé de nous accorder sur la meilleure approche à adopter.
Le narratif d’Uvaro a-t-il évolué au fil de la croissance de l’entreprise? À quelle fréquence le révisez-vous?
[Joseph]
Nous avons eu la chance de lancer Uvaro d’une position de grande conviction. Nous avions effectué beaucoup de recherches au préalable et cumulé de nombreuses années d’expérience pertinente, ce qui voulait aussi dire que nous avions déjà fait face à beaucoup d’événements pouvant entraîner une refonte en profondeur du narratif d’une entreprise, comme l’incertitude ou les nouvelles leçons tirées du marché. Comme nous savions disposer de cet avantage, l’esprit général de notre récit demeure passablement inchangé. Ce qui change, ce sont les marges. Nous revoyons et actualisons constamment les anecdotes de nos clients, les statistiques du marché et les mesures des résultats que nous mettons de l’avant.
Si vous n’aviez qu’un conseil à donner aux nouveaux.elle.s entrepreneur.e.s ou aux aspirant.e.s entrepreneur.e.s pour construire un narratif authentique et convaincant, quel serait-il?
[Donna]
Une chose doit toujours transparaître dans vos communications : les raisons pour lesquelles ce que vous faites est important pour votre clientèle. C’est ce qui constitue vos assises; une vérité à laquelle vous pouvez revenir dans les moments de doute ou d’ambivalence.
Vos motivations personnelles à faire ce que vous faites sont un autre élément qui donnera plus de profondeur à votre récit.
[Joseph]
J’appuie totalement la réponse de Donna.
J’aimerais aussi ajouter qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de prendre le temps et le recul nécessaire pour peaufiner votre narratif. En gros, bâtir une entreprise consiste à éteindre des feux régulièrement et, avouons-le, cela peut monopoliser notre attention. Dans ce genre de contexte, vous ne pourrez pas créer de narratif convaincant. Pour ce faire, vous devez vous dissocier de l’action et faire confiance à votre équipe pour assurer la permanence pendant que vous vous terrez dans votre bureau avec une machine à écrire (bon, plus probablement avec votre ordinateur portable) et que vous vous consacrez à écrire une histoire fidèle à votre vision et à votre clientèle.
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Pour plus de ressources sur la rédaction d’un narratif, consultez ces articles — Preparing to Raise a Series A et Building Your Fundraising Story.
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