Lors de la dernière décennie, l’écosystème des startups de Montréal est passé de balbutiant à chef de file canadien de l’investissement des entreprises innovantes en démarrage. En 2017, Montréal a vu l‘investissement dans ce secteur croître de 64% avec plus de 1 milliard de dollars canadiens injectés dans les ses startups les plus prometteuses. L’an dernier, quatre des cinq plus importants investissements au Canada (592 millions de dollars) l’ont été dans des entreprises québécoises, ce qui souligne clairement l’ambition internationale des entrepreneurs d’ici.
Avec l’accroissement tant espéré du financement en capital-risque, des programmes gouvernementaux et de l’aide aux nouveaux entrepreneurs, en plus d’un avantage concurrentiel international marqué en IA, les pièces du casse-tête sont harmonieusement tombées en place pour que prolifèrent et se démarquent des entreprises disruptives. Quand en novembre dernier Real Ventures a annoncé une hausse de 180 millions de de son financement disponible, nous avons constaté qu’en plus d’un élargissement de nos horizons et d’investissement dans des entreprises en stades plus avancés de leur évolution, et ce partout au Canada, nous avons continué de concentrer nos efforts, et une équipe dédiée, sur notre stratégie Orbite Montréal qui place 30 millions de dollars en investissements d’amorçage, en temps de mentorat et en soutien aux startups du Québec.
Afin de saisir pourquoi l’entrepreneuriat technologique au Québec jouit actuellement d’un fort momentum, Sylvain Carle, un des associés de Real sur l’équipe d’Orbite, s’est entretenu avec deux de nos investisseurs: Tom Birch, vice-président, Fonds et technologies, de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), et Jacques Perreault, vice-président associé, Investissements technologiques chez Desjardins Capital à propos de l’état de l’écosystème technologique québécois, des possibilités de croissance et de ce que le Québec a besoin pour poursuivre sa croissance.
Sylvain Carle :
Commençons par la situation actuelle de l’écosystème technologique québécois. Pourquoi est-ce le moment idéal pour évoluer ensemble dans ce secteur ?
Jacques Perreault:
Si je me rappelle bien de l’état du secteur du capital de risque à Montréal il y a 10 ans, j’ai en tête des images de l’hiver nucléaire ! Le marché était désert. Pour les entreprises technos, obtenir du financement relevait du parcours du combattant et selon moi, Real a été l’une des premières sociétés à revenir, avec son fonds d’amorçage des Montréal Startup en 2007, et à ranimer la communauté des startups. C’était un parfait catalyseur pour l’écosystème montréalais et, de ce moment, d’autres fonds privés ont émergé : iNovia, Brightspark, Whitestar. Cela marquait le début d’un cycle positif.
Quand j’observe l’écosystème actuel, j’identifie un autre type de joueurs — anges financiers, fonds de capital-risque, fonds institutionnels, sociétés privées. Les sociétés croient en la technologie et à l’investissement dans les startups.
Avec la présence plus soutenue des anges financiers et des sociétés, on a noté une plus grande activité tant dans l’acquisition de technologies qu’en investissement dans des startups à Montréal, au Québec ou au Canada.
Tom Birch :
Le fonds d’investissement Orbite prend aussi toute son importance par la création, par Real, du programme FounderFuel : une façon d’encadrer les entrepreneurs. Beaucoup de gens possèdent une excellente technologie, mais ils ne connaissent rien aux ventes, au marketing, aux ventes directes, aux canaux de ventes indirectes, aux ventes en ligne et autres. Mais ces gens-là [l’équipe de Real] comprennent : ils doivent former les entrepreneurs de Montréal et Québec, et enfin [les entrepreneurs pourront] fonder leur première entreprise. Peut-être permettront-elles à Real Ventures de générer des liquidités afin d’avoir un deuxième tour au bâton, puis un troisième et finalement se donner de plus en plus de chances d’exister.
JP : Voilà un tournant majeur : voir l’écosystème évoluer dans le temps et constater que de plus en plus de beaux projets voient le jour. Nous ne voyions pas ça il y a dix ans.
Une nouvelle génération d’entrepreneurs perce le marché avec des projets réalistes, que ce soit des entrepreneurs qui font leurs premiers pas ou d’autres qui reviennent avec un nouveau souffle. Ils connaissent l’ambiance, ils savent ce qu’ils doivent faire. Certains entrepreneurs ont fait des erreurs dans le passé, mais ils ont appris et savent maintenant quoi faire pour réussir.
TB : Un autre problème vécu au Québec il y a dix ans était que si un entrepreneur avait l’occasion de vendre son entreprise pour 40 millions de dollars, il la vendait. Les fonds de capital-risque étaient si petits qu’ils favorisaient une sortie anticipée pour investir rapidement sur un autre fonds. Cet éternel cercle vicieux où les gens lançaient des entreprises dans le but de la revendre était notre quotidien : créer un fonds, puis un fonds plus important et au final, personne ne travaillait avec une vision à long terme.
SC: Alors qu’aujourd’hui, il y a plus de financement disponible pour les startups et aussi beaucoup plus de startups. Est-ce selon vous un défi pour les startups québécoises ? Qu’entre voyez-vous comme difficultés principales pour les entrepreneurs?
JP: Je vois deux manques. Pour l’investissement d’amorçage, même si nous avons des joueurs tels Orbite / Real Ventures, ce domaine souffre encore d’un déficit de partenaires. Nous voyons des anges financiers, de nombreux accélérateurs et programmes existent, mais selon moi, il manque du financement pour toutes les startups technologiques au début du cycle. Je pense que c’est notre premier défi. Il nous faudrait une structure de financement plus solide à cette étape (du cycle).
Un nouveau défi survient après que les investisseurs aient financé l’amorçage, la série A, la série B et la route vers la série C (je constate aussi un manque de joueurs à cette étape). Les grandes institutions commencent à peine à être des investisseurs actifs dans ce secteur et un grand manque est encore perceptible. Parfois, le financement provient aussi de fonds de capital-risque américains et c’est très bien ainsi, mais j’aimerais voir plus de joueurs d’ici s’investir. Le capital-risque américain arrive ici, finance ou achète des entreprises, que nous vendons parfois trop vite.
TB: Exactement. Dans le cas de Lightspeed, nous [la CDPQ] avons investi dans la ronde de série C — près de 32 millions de dollars américains, puis deux ans et demi plus tard s’est présentée l’occasion de racheter Accel, un investisseur antérieur, et nous avons injecté un autre 136 millions de dollars américains. Cette décision s’avérait très importante pour nous, car cela permettait au fondateur Dax Dasilva et à son équipe de direction d’adopter une vision sur cinq ans pour l’évolution de l’entreprise au lieu de devenir un moyen pour un investisseur américain de générer des liquidités.
Nous devons penser plus grand et ne surviendra qu’en adoptant une vision d’avenir et en investissant dans ces entreprises à long terme.
SC : Quand nous avons levé des fonds l’an dernier, John Stokes, un de nos associés, répétait que cela constituait la dixième année d’un cycle de 20 ans. Alors, quelle est la prochaine étape ? Connaissant ces lacunes du marché, que devrions-nous faire ?
JP : Nous commençons à voir les composantes se mettre en place : les accélérateurs, les investisseurs, les programmes gouvernementaux, les sociétés. Selon moi, notre manque au Québec (en comparant avec Toronto, par exemple), c’est que nous travaillons trop en silos. Je ne décèle pas une vision ou une stratégie commune quant à un plan d’action qui nous assurerait que nous pouvons développer les entreprises technologiques qui seront les chefs de file de demain.
TB: En matière de développement de l’écosystème, il nous faut aussi investir dans de petits fonds de capital-risque pour les phases de démarrage afin d’augmenter la taille de l’équipe de conception. Il est important de s’assurer d’avoir une masse critique minimale. Annuellement, le marché californien du capital-risque avoisine les 34 milliards USD et à près de 3,2 milliards US à Tel-Aviv. Il faut réaliser qu’Israël compte sensiblement le même nombre d’habitants que le Québec, qui cumule à peine 500 millions de dollars américains d’investissement par année.
Notre seule façon d’obtenir plus de succès est de fonder plus d’entreprises, d’avoir plus d’occasions de financement et de créer le « Google » de l’IA ou Google de l’IdO, mais si nous n’amenons pas assez de joueurs au bâton, nous ne pourrons pas réussir.
Il y a 25 ans, nous avions un avantage compétitif sur la scène internationale en matière de logiciels de télécommunications, mais celles-ci ont muté vers les technologies à fibres optiques et des semi-conducteurs intégrant la fibre optique, et nous n’avons affiché jusqu’ici aucun autre avantage compétitif dans le secteur des technologies.
En travaillant avec Yoshua Bengio, le fondateur de MILA (l’institut d’IA du Québec), nous aurons maintenant l’occasion de développer la masse critique en IA. Une des entreprises dans laquelle Real Ventures est investisseur, Element AI, occupera le même immeuble, tout comme d’autres startups naissantes et en phase de croissance, actives en données massives et soutenues par des investissements en capital-risque.
Dans trois ans, plus de 5 000 travailleurs de l’IA se retrouveront dans deux pâtés de maisons à Montréal, et pour moi, ça représente une masse critique minimale.
Alors que les fonds de capital-risque arrivent à Montréal pour investir dans notre écosystème, un signe que nous allons développer de plus en plus d’entreprises d’ici qui voudront rester ici, même lorsqu’elles seront une source de création de liquidités. Elles voudront demeurer ici et fonder d’autres entreprises, donc si on souhaite obtenir un avantage compétitif mondial et pérenne, l’IA nous donne la possibilité d’y parvenir.
C’est étrange, car lorsque l’Internet a été conçu en 1992, les investissements fusaient de toutes parts. De 1997 à 2000, c’était comme le Far West le plus fou. Mais maintenant, nous voyons les signes d’un nouveau Far West chez nous, parce que nous possédons les technologies clés, nos bases sont solides et le train roule vive allure.
Des gens capables de gérer efficacement l’évolution de la technologie vivent chez nous, alors lancez l’IA dans ce contexte et, selon moi, nous assisterons au cours des dix prochaines années à une telle croissance technologique que nous profiterons d’être au bon endroit au bon moment.
SC : Un mot de la fin vous vient en tête ?
TB: Vivre à Montréal est très excitant. Nous avons au Québec une approche stratégique qui créera de la valeur à long terme via l’investissement dans l’innovation. C’est la clé : en investissant de manière sélective dans l’IA et la 5G — des catalyseurs clés de l’internet des objets (IdO) — et en finançant l’innovation, on stimulera toute l’économie. Notre qualité de vie est enviable et nous possédons certaines des meilleures technologies au monde. Je pense que nous sommes avantageusement positionnés.
JP : Selon moi, ce que vous développez — Orbite, Real Ventures, FounderFuel — constitue un des catalyseurs de l’écosystème. Par votre portée, le nombre d’entreprises qui émergent, les données que vous pouvez obtenir via celle-ci, tous vos co-investisseurs et vos partenaires commerciaux, vous avez un rôle central sur le marché. Chez Desjardins, nous partageons la même philosophie et oui, nous souhaitons revenir, mais nous pour construire quelque chose de pérenne. C’est très important pour nous et ça fait partie de notre ADN , mais nous cherchons aussi des partenaires partageant la même vision. Nous voulons former les leaders de demain et il n’y a qu’une seule façon d’y parvenir : en étant patient, en travaillant en étroite collaboration avec les entreprises et en veillant à ce que tout le monde dans l’écosystème aille dans la même direction et vise les mêmes objectifs.
Afin d’en maximiser la clarté, cette interview a été condensée et retravaillée.
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